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« Semblable à un épervier, je me suis envolé du monde des mystères, espérant m’élever vers un monde plus haut ; mais tombé ici-bas et n’y trouvant personne digne de partager mes secrètes pensées, je suis ressorti par la porte par laquelle j’étais entré ».

Continuons le cycle des poètes avec Omar Khayyâm, poète, astronome et mathématicien persan, né à Nishapur dans l’actuel Iran en 1048 et mort en 1131. Bien que scientifique renommé à son époque pour ses traités algébriques et ses tables astronomiques, Omar Khayyâm est plus connu pour « les Roubaïates », poésies parfois libertines, souvent sceptiques et mélancoliques, traduites en Occident au milieu du XIXème siècle par E. Fitzgerald, traducteur et auteur britannique.

Les Roubaïates  ou Rubâ’yiat d’Omar Khayyâm sont des quatrains poétiques où se mêlent ivresse spirituelle et ivresse humaine, jouissance du temps présent, interpellation de Dieu sur la condition humaine et critiques des hypocrites de l’Islam. L’auteur cite à l’occasion les noms de Moïse, de Jésus ou de Socrate. La forme «rubâ’yiat » désigne une forme populaire de quatrain persan.

« Un matin, j’entendis venir de notre taverne une voix qui disait : A moi, joyeux buveurs, jeunes fous ! Levez-vous et venez remplir encore une coupe de vin, avant que le destin vienne remplir celle de notre existence ».

« La distance qui sépare l’incrédulité de la foi n’est que d’un souffle, celle qui sépare le doute de la certitude n’est également que d’un souffle ; passons donc gaiement cet espace précieux d’un souffle, car notre vie aussi n’est séparée de la mort que par l’espace d’un souffle ».

Lorsqu’en ce monde la joie s’empare de nous ; lorsqu’elle donne à notre teint le brillant éclat du coursier au firmament, alors j’aime à me voir dans une prairie au milieu des belles aux joues veloutées et à prendre avec elles de ce vert hachich, avant de rentrer moi-même sous cette terre recouverte de gazon ».

Dans sa jeunesse, Omar Khayyâm étudia auprès de grands savants dont l’Imam Mowaffak. Reçu à la cour des Seldjoukides, il se tint à l’écart des projets et complots politiques mais élabora de nombreux traités mathématiques et un calendrier astronomique avec l’introduction de l’année bissextile. Dans ses quatrains, Omar Khayyâm a une vision désabusée de la vie qui lui fait préférer le « vin rubis » aux prières dans les mosquées, surtout lorsque celles-ci sont dites pas des tartuffes :

« Boire du vin et étreindre la beauté vaut mieux que l’hypocrisie du dévot ; si l’amoureux et si l’ivrogne sont voués à l’Enfer, personne, alors, ne verra la face du ciel ».

 « C’est nous qui sommes le véritable but de la création universelle ; C’est nous qui, aux yeux de l’intelligence, sommes l’essence du regard divin. Le cercle de ce monde est semblable à une bague, et, sans aucun doute, c’est nous qui sommes le chaton gravé ».  Ici Omar Khayyâm parodie certains mollahs dans leur excessive admiration du Prophète, le plaçant à l’égal de Dieu. Précisons également qu’il est proche des mouvements soufistes considérant la création comme une illusion et Jésus comme un maître du soufisme (tendance mystique de l'Islam sunnite).

 « Les choses existantes étaient déjà marquées sur la tablette de la création. Le pinceau de l’univers est sans cesse absent du bien et du mal. Dieu a imprimé au destin ce qui devait y être imprimé ; les efforts que nous faisons s’en vont donc en pure perte ».

L’affliction qui parcourt les Rubâ’yiats de Omar Khayyam n’est pas sans rappeler  celle du livre de l’Ecclésiaste* ou « Qohelet » dans ce que la vie a de vain :

« Je me suis dit à moi-même: "Allons! Je veux te faire faire l'expérience de la joie, te donner du bon temps." Eh bien! Cela aussi est vanité!

A la gaîté j'ai dit: "Tu es folie! Et à la joie: "A quoi sers-tu?"

Je résolus, à part moi, de prodiguer à mon corps les plaisirs du vin et, tout en restant attaché de cœur à la sagesse, de faire une place à la folie, de façon à voir quel est le meilleur parti que puissent suivre les fils d'Adam sous le ciel, au cours de leur existence.

J'entrepris de grandes choses: je me bâtis des palais, je me plantai des vignes.

Je me fis des jardins et des parcs, et j'y plantai toutes sortes d'arbres fruitiers.

Je me construisis des réservoirs d'eau, pour arroser des forêts riches en arbres....

Rien de ce que mes yeux pouvaient désirer ne leur était refusé par moi; je n'interdis aucun plaisir à mon cœur. Mon cœur, en effet, n'eut qu'à s'applaudir des soins que je prenais, et telle fut la récompense de toutes mes peines.

Mais quand je me mis à considérer toutes les œuvres accomplies par mes mains et tous les tracas que je m'étais imposés, je constatai que tout était vanité et pâture de vent, et qu'il n'est point d'avantage durable sous le soleil.

Puis, je me mis à passer en revue sagesse, folie et sottise: "Car, me disais-je, que [pourra faire] l'homme qui viendra après le roi? Celui-ci aura déjà tout fait."

Je m'aperçus que la sagesse est supérieure à la folie autant que la lumière est supérieure aux ténèbres:

Le sage a ses yeux dans la tête, et le sot chemine dans les ténèbres. Mais je reconnus aussi qu'un même sort est réservé à l'un et à l'autre.

Alors je dis en mon cœur: "Le sort du fou est le même qui m'attend, moi; dès lors, à quoi bon avoir acquis tant de sagesse?" Et je m'avouai à moi-même que cela encore est vanité.

En effet, le souvenir du sage n'est pas plus durable que celui du fou; car viennent les temps futurs, tout tombera dans l'oubli! Et comment se fait-il que le sage meure à l'égal du fou? ».

Profitons, malgré tout, des joies et des moments de paix du temps présent car comme l’a écrit Omar Khayyâm :

« Pourquoi, aujourd’hui que la rose de ta fortune porte ses fruits, la coupe est-elle absente de ta main ? Bois du vin, ami, bois, car le temps est un ennemi implacable, et retrouver un jour pareil est chose difficile ».

Et comme disait le poète latin Horace : Carpe Diem ! (quam minimum credula postero**)

Marie-Laure Tena – 10 juillet 2018

 

Les roubaïates – Editions Seghers 1965 (l’édition de mon père)

asso-opera.fr/omar-khayyam/

Larousse.fr

Samarcande Amin Maalouf – roman

* L’Ecclésiaste – La Bible – Torah ou Ancien Testament

** Profite du temps présent (sans te soucier du lendemain)

Tag(s) : #OmarKhayyâm, #Roubaïates, #Rubâ'yiat, #Textes poétiques
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