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Sous le règne d’un roi sage, dont on disait que c’était le roi Salomon, vivait, dans une petite maison au bord de la mer,  une pauvre femme. Son mari était mort depuis longtemps et ses enfants s’étaient dispersés dans le monde, de sorte qu’elle n’avait personne pour égayer sa vieillesse. Du matin jusqu’au soir, la femme réparait les filets des pêcheurs. Elle ne gagnait pas beaucoup, juste assez pour n’avoir pas faim et mettre de côté un peu de farine pour l’hiver, lorsque la pluie et le vent empêchaient les pêcheurs de prendre la mer. Les gens l’aimaient bien et leurs paroles d’amitié étaient pour elle une récompense et une consolation dans sa solitude.

Une année cependant, l’hiver fut plus long que de coutume. D’immenses vagues agitaient l’océan et les pêcheurs ne pouvaient embarquer. Aucun n’ayant besoin de faire recoudre ses filets, la réserve de farine de la pauvre femme diminuait de jour en jour. Lorsqu’il ne lui resta même plus assez pour se faire une galette, elle se rendit chez l’homme le plus riche du village.

- Que veux-tu ? demanda celui-ci.

- J’ai faim, seigneur, répondit la femme. Donne-moi s’il te plaît un peu de farine, pour que je survive à ce rude hiver.

- J’aimerais t’aider, fit l’homme, mais je viens de vendre tous mes sacs. J’ai gardé juste ce dont j’ai besoin pour moi-même et ma famille. Néanmoins, si la farine qui reste sur le plancher peut te contenter, prends-là sans te gêner.

La femme le remercia, balaya soigneusement le grenier et, tout heureuse, rapporta chez elle un petit sac de farine. Elle fit tout de suite du feu dans le four, pétrit la pâte et ressortit bientôt trois belles miches de pain bien dorées. Le jour s’achevait et comme la femme n’avait pas mangé depuis le matin, elle avait grand faim. Elle attrapa un pain et, allait le bénir et s’en couper une bonne tranche, lorsqu’un inconnu frappa à sa porte. Il était vêtu de haillons et parlait avec peine, paraissant épuisé.

- Brave femme, pria-t-il, donne-moi quelque chose à manger. Je suis un marchand mais des brigands m’ont attaqué sur la route et m’ont pris toute ma fortune. Ce n’est que de justesse que j’ai sauvé ma propre vie. Je n’ai pas mangé depuis très longtemps, je suis à bout de forces.

A peine l’étranger eut-il fini de parler que la femme lui offrit son premier pain.

- Prends cette miche, dit-elle, et que Dieu soit avec toi.

L’homme la remercia et sortit. « Il en avait plus besoin que moi » pensa la femme. « D’ailleurs, il m’en reste encore deux ». Elle alla chercher la seconde miche mais, à ce moment, quelqu’un frappa de nouveau. En ouvrant, la femme aperçut sur le seuil un autre voyageur, encore plus pitoyable, qui lui raconta que sa maison venait de brûler et qu’il n’avait plus rien à manger. Cette fois encore, la femme n’hésita pas et donna à l’étranger le second pain puis retourna à table pour se mettre à manger. Sans plus attendre, elle saisit le troisième pain mais n’eut pas le temps de le bénir qu’un vent violent se levait derrière les fenêtres. Il fit le tour de la maison et, avant que la femme ne put réagir, renversa la porte et lui arracha le pain des mains, qu’il emporta au large dans un tourbillon. La malheureuse fondit en larmes :

- Pourquoi, vilain vent, es-tu si cruel ! J’ai donné du pain aux pauvres et quand je veux manger, tu me prends le dernier morceau ! Que veux-tu que la mer fasse de mon pain ?

La femme ne ferma pas l’œil de la nuit. Elle essayait de se rappeler si elle n’avait pas, un jour, fait du tort à quelqu’un mais sa conscience était pure et quoiqu’elle réfléchit, elle ne trouvait pas de raison à ce châtiment. Lorsqu’à l’aube, le soleil se leva, elle décida d’aller porter plainte contre le vent auprès du roi « Il est l’homme le plus sage du monde, se dit-elle, nu autre ne peut juger cette querelle avec le vent. »

Le roi écouta attentivement la femme. Il l’interrogea en détail sur sa vie et lui dit :

- Si tu veux demander justice au vent, il te faut patienter jusqu’au soir où je t’appellerai. Il doit être présent au tribunal et je ne peux le déranger en ce moment, quand il enfle les voiles des navires marchands. Reste ici en attendant son retour.

Au moment où la femme se retirait dans un coin de la salle, trois commerçants vinrent s’agenouiller devant le trône royal :

- Ô Roi ! Nous te demandons un geste de miséricorde. Accepte de nous 7 000 pièces d’or et donne-les à un pauvre, une personne brave qui, par la noblesse de son âme, en soit digne.

- Qu’est-ce qui vous amène à une telle action ? s’enquit le roi.

- Notre reconnaissance et notre amour pour Dieu et Ses bienfaits, répondit le marchand le plus âgé. Je vais te l’expliquer.

Il se tourna vers un coffre plein d’argent et raconta que les 7 000 pièces d’or représentaient exactement le dixième de la valeur de leur cargaison.

- Alors que nous approchions des côtes de ton royaume, une tempête se déchaîna. Les vagues jetaient le bateau de tout côté comme un petit morceau de bois et nous perdîmes notre cap. Une fissure apparut alors sur le flanc du navire et celui-ci se mit à prendre l’eau rapidement. C’est en vain que nous cherchâmes quelque chose pour boucher le trou. Dans notre désespoir, nous priâmes Dieu en faisant le serment de donner à un pauvre le dixième de notre chargement, si nous nous en sortions vivants.

Le marchand expliqua que l’orage s’apaisa et qu’ils purent aborder en toute sérénité. Le calcul du dixième de la valeur de la cargaison correspondait à 7 000 pièces d’or.

- Voilà cette somme. Partage-là avec les pauvres, comme tu le jugeras bon.

- Je ferai volontiers ce que vous demandez, répondit le roi, mais une chose n’est pas claire. Une fissure est apparue sur le flanc de votre navire qui aurait dû couler à pic or vous n’avez pas sombré. Quelle est ton explication ?

A ces mots, le marchand fouilla dans le pli de son manteau et en ressortit un pain déformé, tout gonflé d’eau :

- C’est cela qui nous a sauvés, porté par un tourbillon qui le colla sur le flanc du bateau, bouchant la fissure !

Le roi sourit et déclara que le pain qui les avait tant aidés venait de retrouver sa propriétaire. En se tournant vers la femme, il ajouta :

- Reconnais-tu ce pain ?

Étonnée, la femme acquiesça :

- C’est justement la miche que le vent m’a arraché ! 

- Dans ce cas, les 7 000 pièces d’or t’appartiennent également, reprit le roi. Dieu n’a pas oublié ta bonté et il a ordonné au vent de ne plus te laisser dans la misère. Ce qui semblait être un malheur est à présent une joie. Va, désormais tu ne manqueras plus de rien.

La nouvelle de cette histoire extraordinaire se répandit dans tout le royaume et chacun loua la justice divine et la sagesse de leur roi.

Marie-Laure Tena – 31 décembre 2019

Source : Contes juifs – Éditions Gründ  1986 ; Illustrations : Alphonse Lévy : la vieille juive 1884 - Rembrandt : le mendiant - Charles Motte: le naufrage de la Méduse

Tag(s) : #Contes&Légendes
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